Moi, Capitaine (Io, Capitano)
Eliott Jouan, secrétaire général de Voies du monde et étudiant à Sciences Po Paris, nous partage tout au long de cet article une analyse personnalisée du film Io Capitano. Ce film aborde une thématique controversée, celle de l'immigration, sous un prisme inédit.
Io, Capitano est un film Italien réalisé par Matteo Garrone sorti au cinéma en France en janvier 2024. Il raconte le dangereux périple de deux jeunes Sénégalais, Seydou et Moussa, qui décident de quitter leur pays natal pour rejoindre l’Italie en espérant y construire un meilleur futur. Le film est déjà un succès auprès de la critique puisqu’il a reçu deux prix dont le lion d’argent du meilleur réalisateur et le prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir pour Seydou Sarr (interprète de Seydou). Il fut aussi nominé aux Golden Globes 2024 dans la catégorie « meilleur film en langue étrangère ».
Io, Capitano fait parti d’un groupe de films particuliers qu’on pourrait qualifiés « d’engagés ». En abordant le sujet des migrations d’une certaine manière, Matteo Garrone choisi de réhumaniser la question migratoire, sujet houleux et théâtre de toutes les dérives. Concrètement, ce film permet aux spectateurs de se mettre à la place de Seydou et de Moussa dans leur traversée du Sahara, de la Libye et de la Méditerranée.
Inspiré d’une histoire vraie, celle de Fofana Amara, jeune Guinéen de 15 ans au moment de la traversée, ce film ne cherche pas à exagérer ou à minimiser les dangers auxquels font face les personnes qui empruntent ces routes. Au contraire, il cherche à montrer la réalité des menaces diverses : climat aride du Sahara, torture et esclavage en Libye, indifférence des autorités européennes …
En outre, Matteo Garrone fait un choix audacieux en parlant de l’immigration « choisie », motivée par des raisons économiques et non politiques. La culture engagée s’est récemment intéressée à la question migratoire. C’est par exemple le cas du film Nous Trois ou Rien du réalisateur franco-iranien Kheiron, qui raconte l’exil de militants prodémocratie après la désillusion de la révolution Iranienne de 1979. En littérature aussi avec le roman L'Eldorado (2006) de Laurent Gaudé. On y suit un garde côte Italien dont la tâche est de lutter contre les passeurs et de faire face à la détresse des migrants qui ont risqués leurs vies pour traverser la méditerranée.
Avec Io, Capitano, Matteo Garrone insiste sur l’idéal que représente l’Europe occidentale, riche et démocratique, pour une partie des Africains. Une posture adoptée par les Etats Européens eux-mêmes comme marqueur d’une identité politique et philosophique propre mais qui, à bien des égards, est trompeuse. Matteo Garrone est un producteur Italien, pays marqué par une crise migratoire et une incapacité d’organiser un accueil décent. Au fond, ce film montre le fossé qui existe entre l’image idéalisée d’une Europe ouverte et protectrice contre la réalité d’une Europe en mutation qui tend à se renfermer sur elle-même. Une source de réflexion pour quiconque sort de cette séance de cinéma, qui rappelle que ces évolutions ont des conséquences bien au-delà de chez nous. L’autre coup de force de ce film est sa capacité à mettre des visages sur les plus de 22 600 personnes mortes dans la méditerranée depuis 2014 et de faire comprendre que ces personnes risquent leurs vies de nombreuses façons au cours de ce périple.
Eliott JOUAN